A ces moments, il y a comme une lumière rouge qui s’allume en nous. On presse le pas, on lorgne les alentours pour repérer une issue de secours, on croise les mains sur notre poitrine, on s’accroche à son téléphone.
Imaginaire ? Hystérique ? Exagérée, cette impression ?
Pas vraiment non. Ce sentiment angoissant est directement issu de la réalité.
En 2015, en France, 62 000 femmes et 2700 hommes ont subi un viol ou une tentative (enquête Virage de l’Ined).
Vous trouvez ce chiffre énorme ? Eh bien, sachez qu’il est riquiqui par rapport à « jadis ».
Fut un temps, pas si lointain à échelle humaine, où la femme comptait infiniment moins que du beurre. Ce n’était pas un être à part entière, mais plutôt un objet. En Grèce antique, ou dans la France du 17e par exemple, son existence dépendait entièrement de son maître, quel qu’il soit : père, frère, mari, propriétaire.
Péché de premier ordre, il offensait Dieu. Mais ne vous méprenez pas ! Ce n’était pas pour protéger la femme. Déjà, parce que seules les vierges pouvaient prétendre au viol. De plus, parce que plus son rang social était élevé, plus l’injure était relevée. En effet, le déshonneur et la honte éclaboussaient un clan, une famille, et non la seule victime. Et pour terminer, prise en flag’ cette dernière, au même titre que l’agresseur, était sanctionnée par la justice, tous deux étant souillés. A vrai dire, comme aujourd’hui, toujours, si l’on pouvait taire la chose, et trouver un petit arrangement, on préférait !
Mais les condamnations étaient rares. A cette époque où la violence quotidienne était inouïe, le viol se noyait au milieu de la brutalité générale. On le considérait comme négligeable. En outre, dans cette société, le seigneur jouissait du droit de cuissage, et il était des plus banal de violer sa domestique, son esclave, et tous les autres êtres socialement faibles.
Ce glissement des tolérances est extrêmement important. Car un viol se produit souvent dans un contexte d’impunité. Si la société, ou le contexte l’autorise, rien ne freine sa pratique. De plus, notons que dans un cadre de domination le viol est facilité, voire encouragé. On le retrouve fréquemment dans les rapports maîtres / esclaves, colons/ colonisés, militaires / occupation, parents / enfants, instituteur / élèves, confesseur/ confessés…. Dans l’affaire Weinstein, par exemple, il s’agissait de domination sociale : un homme qui profite de sa puissance dans le domaine cinématographique pour abuser à volonté.
Bref, revenons au 18e : en 1791, les législateurs inscrivent le viol dans le Code pénal, dans la catégorie des crimes contre les personnes. La victime est désormais reconnue comme un individu autonome. A ce moment, l’opinion publique devient particulièrement sensible à la question des viols sur enfants. Celui de la femme n’émouvait encore guère les esprits, à moins qu’elle ne fût vierge.
Par exemple, les attentats à la pudeur sans violence contre les enfants vont être criminalisés, la sodomie et la violence morale seront prises en compte. Mais, persistait l’idée qu’une femme était suffisamment forte physiquement pour combattre un homme, et de là, éviter un viol. Voltaire lui-même avait déclaré qu’une femme ne pouvait être violée. La preuve ? : lorsqu’on essaie d’entrer une épée dans un fourreau et que la personne bouge, on ne peut y parvenir.
Lors des procès, les juges étaient durs à convaincre. Leur attention se portait principalement sur la question du consentement. En 1820 la loi stipulait : Il n’y a viol que s’il y a violence. De ce fait, Ils exigeaient des preuves physiques. Autrement dit : pas de traces, pas de cris, pas de sang : pas de viol. De plus, on admettait qu’une femme qui avait déjà perdu sa virginité pouvait supporter la chose.
La loi n’en continua pas moins d’évoluer au fil des décennies, et les mentalités aussi.
Mais, finalement, en dépit de tout un arsenal d’articles protégeant les victimes de viol, et alourdissant les peines, le début du 21e siècle connaît des similitudes avec le 19e . La suspicion planant au- dessus des femmes violées persiste. Et les mêmes réflexions surgissent : ne portait-elle pas une jupe trop courte, n’avait-elle pas souri au pauvre bougre qui s’y serait mépris, et que faisait-elle, seule, la nuit dans ce lieu désert ??
De plus il faut un grand courage pour porter plainte lorsque la personne qui nous a violées est un proche. La plupart des viols se produisent dans le cadre familial. Dénoncer son père, son oncle, son frère, son mari ? Et que dire lorsqu’il s’agit d’un collègue, ou d’un patron ?
Dans tous ces cas la victime doit accepter de rompre la belle entente d’antan, sans retour en arrière possible. Alors, oui, parfois, on fait comme si rien ne s’était passé. Supporter et se taire durant des années pour maman, les enfants, ou…
Les femmes, désormais, n’ont plus à considérer le viol comme une fatalité immanente à leur condition, c’est un énorme progrès. Mais la bataille n’est pas gagnée, la lutte se poursuit.
P-S : cet article relate la situation française, dans de nombreux pays le viol est encore pratiqué, sans réelle condamnation.
Katia
Sources :
Laurent FERRON, « Georges VIGARELLO, Histoire du viol XVIe-XXe siècle, Paris, Seuil, 1998, 357 p. », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés [En ligne], 9 | 1999, mis en ligne le 21 mars 2003, consulté le 17 septembre 2018
https://www.franceculture.fr/emissions/concordance-des-temps/le-viol-histoire-dun-crime
Aline Leriche, « Petite histoire du viol conjugal et de la honte », Le sociographe 2008/3 (n° 27), p. 85-94.
FabriceVirgili. Viol(Histoiredu). MichelaMarzano. Dictionnairedelaviolence,PUF,pp.1423-1429, 2011,
Agressions sexuelles en France : résultats de l’enquête Virage. Dans Population et Sociétés. Numéro 538, novembre 2016
https://www.amnesty.ch/fr/themes/droits-des-femmes/faits-chiffres-et/faits-et-chiffres
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