Dans son rapport annuel, le jury des concours d’entrée à l’ENA ‒ hébergée par Strasbourg depuis 2005 ‒ fustige le conformisme des candidats, majoritairement sortis du même moule.
Si c’est le jury de cette vénérable institution qui le dit ! D’ailleurs, il enfonce le clou depuis plusieurs années : le rapport 2015 pointait déjà "l’absence de sens critique" et "l’incapacité à prendre de la hauteur", tandis que celui de 2017 fustigeait "de grosses lacunes" … 2018 est donc dans la veine des précédents.
Est-ce pour cela que certains réclament la fermeture de l’ENA ? Créée en 1945 sous la présidence provisoire du Général de Gaulle, elle devait "refondre la machine administrative française" en démocratisant le recrutement des hauts fonctionnaires d’Etat grâce à un concours d’accès unique à la Fonction Publique. Pari gagné ?
Selon certains, l’ENA a plutôt signé la naissance d’une élite à la française, qui vit et se reproduit en vase clos. Taxée de corporatisme et de népotisme, des personnalités comme Fabius, Attali ou Le Maire, pourtant issus de ses rangs, ont voulu sa fermeture. Mais 70 ans après, l’ENA est toujours le passage (presque) obligé vers les sommets de l’Etat.
C’est en substance ce que déplore aussi le rapport du jury 2018 : "une forme d’unanimité qui manifeste par elle-même une certaine unicité de vues entre les candidats" au détriment d’une "vision personnelle du sujet". Mais aussi un "niveau général de connaissances techniques insuffisant" en histoire, géopolitique, économie, démographie, culture…
Pour remédier à cette dérive, le jury a décidé de valoriser le sens critique, l’authenticité et la sincérité dans sa sélection des lauréats, préférant des têtes bien faites à des têtes bien pleines. Et exhorte les futurs postulants au "courage qui consiste à faire une analyse personnelle". Vous vous reconnaissez dans cet appel du pied ? Alors commencez à bûcher, la France a besoin de vous…
Jean-Pierre
* Olivier Saby, diplomé de l’ENA en 2011 et auteur de Promotion Ubu roi, mes 27 mois sur les bancs de l’ENA (Flammarion Document, 2012)
Sur le même sujet : La ferme des énarques, Adeline Baldacchino (Michalon, 2015)
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